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| CRISTALLOGRAPHIE |

 

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Tony GOUPIL
étudiant en master 1 Renaissance

Université de Tours
amateur de la botanique merveilleuse et de ses liens avec l'eau au XVIe siècle

http://www.h2o.net/magazine/index.php

http://tonygoupil.livreaucentre.fr/


 

LA CRISTALLOGRAPHIE - NOTIONS

Une des caractéristiques des minéraux est qu'ils se trouvent sous forme de cristaux macroscopiques ou microscopiques. Cet état cristallin répond à des lois bien définies propres à l'agencement atomique des molécules qui les composent, c'est la structure interne atomique. Cette structure dépend de l'organisation des atomes, des ions, les molécules étant regroupés en réseaux dans une certaine densité. Cette structure cristalline est du plus simple (sel gemme ou sel de cuisine) au plus complexe POLYSILICATES. Macroscopiquement le cristal montre dans sa forme extérieure des angles, des arêtes et des faces.

 

1 = 0,500 nm

 

 

Structure du CHLORURE DE SODIUM (HALITE) -  (maille cristalline élémentaire)

 

L'abbé René Just HauÿRené-Just HAÜY et un extrait de la planche III de son "Traité de Minéralogie" (1801) montrant l’empilement des "molécules intégrantes" (concept de maille cristallographique) dans un cristal de calcite.

 

 | LES CRISTAUX |

 

La vision du Cristal chez les Anciens et Modernes.

« Ni l'ombre des hautes forêts, ni la molle verdure des prés, ni la fraîcheur des ruisseaux, dont l'onde

plus pure que le cristal roule sur les cailloux à travers les campagnes, ne peuvent ramener leurs

esprits »

(Virgile, Les Géorgiques)

Jacopo Zanguidi Bertoja (1544-1574). Roland amoureux, le palais de cristal.(1570).

Fresque. Parme, Palais ducal, Salle du baiser. Source de l'image : Utpictura 18

 

 | Le cristal, un objet pluriel.|

Le cristal a toujours fasciné. Par sa beauté ou ses vertus. Ostentatoire et luxueux, il n'était pas seulement utilisé pour montrer sa richesse, mais aussi comme remède et objet occulte. Les écrits littéraires relatent beaucoup le cristal en tant qu'élément de décoration et d'apparat en architecture. En effet on peut constater dans l'épopée romanesque en trois parties et 79 chants intitulée Roland Amoureux, de Bojardo, dont la peinture ci-dessus est tirée, que les colonnes du palais sont faites de cristal. Ce topos est souvent repris en littérature. Joachim Du Bellay, lui aussi, dans ses Regrets, utilise l'image du cristal comme élément architectural :

La muraille n'était de marbre ni de brique

Mais d'un luisant cristal, qui du sommet au fond

Élançait mille rais de son ventre profond

Sur cent degrés dorés du plus fin or d'Afrique.

D'or était le lambris, et le sommet encor

Reluisait écaillé de grandes lames d'or :

Le pavé fut de jaspe et d'émeraude fine.

 

Le cristal est aussi souvent utilisé pour la poésie, les poèmes amoureux, les sonnets. Ronsard, le comparse de Du Bellay, use du cristal de façon métaphorique pour symboliser l'expression de la nature dans le sonnet I pour Hélène :

Par le nouveau Printemps fils aisné de Nature,

Par le cristal qui roule au giron des ruisseaux,

Et par les rossignols, miracle des oiseaux,

Que seule vous serez ma dernière aventure

| L'origine du cristal. |

 

Ronsard met en relation le cristal et l'eau au XVIe siècle dans sa poésie. Le cristal, de par sa transparence était bien souvent assimilé à l'élément aquatique (en ce sens Ronsard reprend des éléments de la poétique de Virgile). Ce lien avait aussi été établi au Moyen Age par Guillaume de Lorris dans Le Roman de la Rose, où la fontaine de Narcisse accède au statut « merveilleux » grâce aux cristaux. En effet son eau, « très-clere et saine », fait croître l'herbe autour « fresche et drue ». En son fond se trouve deux cristaux qui, par les rayons du soleil, deviennent jaune et vermeil.  Et ces cristaux ont un effet sur la flore environnante :

 

Ces cristaulx sont très merveilleux

Et telle force ont chascun d'eux

Arbres, fleurs & toute verdure,

Appert à cil qui y met cure.

 

Le Roman de la Rose. Source : The British

Library Board

 

Pourquoi le cristal est-il fréquemment mentionné au travers du prisme des eaux ?  La réponse se trouve tout d'abord dans l'étymologie même du substantif. Cristal provient du mot latin crystallus qui signifie à la fois glace, cristal de roche, et objet en cristal. En grec ancien κρύσταλλος signifie aussi glace. Cette image donc du cristal dont les origines seraient en fait de l'eau congelé émaille l'imaginaire des auteurs antiques et de la Renaissance. Ces derniers justifiaient que le cristal résistait à la chaleur, par le fait qu'il était composé en partie de neige. Le poète antique Claudius Claudianus résume cette idée de la composition « atmosphérique » du cristal : « L'onde a conservé des traits de sa nature première, le froid en glace une partie ; le froid sur l'autre est sans force. C'est un jeu de l'hiver, et ce diamant qui dans son imparfaite solidité, trouve un prix nouveau, s'enorgueillit des eaux captives en son sein. » (Pièces, fugitives, Claudien)

 Le poète Claudien compare dans cet extrait, le cristal au diamant. C'est une habitude tout à fait courante. Solin, naturaliste du IIIe siècle, dans sa Polyhistor (recueil de curiosités, d'anecdotes sur les diverses régions du monde) effectue une comparaison cristal/diamant :

« Parmi les pierres précieuses, les Indiens assignent le premier rang au diamant. Il dissipe les hallucinations, neutralise l'effet du poison, et délivre des vaines frayeurs. Nous avons cru devoir nous occuper d'abord de ce qui regarde l'utilité ; maintenant nous dirons quelles sont les diverses espèces de diamants, et quelle est pour chacune la couleur la plus estimée. Le diamant de l'Inde se trouve dans une espèce de cristal auquel il ressemble par sa brillante transparence ; ses deux moitiés sont légèrement coniques et présentent six facettes. Jamais on n'en a rencontré de plus gros qu'une aveline. Celui que nous placerons au second rang, et qui se trouve dans l'or le plus pur, est plus pâle, et approche de la couleur de l'argent. » (chapitre LIII. De l'Inde).

Solin assimile le diamant d'Inde au cristal. Il introduit aussi une problématique importante qui intéressera les médecins de tout siècles : à savoir la question des vertus thérapeutiques. Le diamant en possède, il a des propriétés alexitères (contre le poison), et chasse les pensées néfastes. Mais qu'en est-il du cristal ? Aurait-il lui aussi des vertus curatives ?

| Les vertus thérapeutiques et magico-religieuses du cristal.|

 Il était admis au XVIe siècle, que le cristal avait une vertu astringente et qu'on le donnait, de fait aux dysentriques (pulvérisé en poudre dans du vin). Il permettait également d'arrêter les « fleurs blanches » aux femmes (leucorrhée). D'où viennent de telles croyances ? Du Moyen Age ? Les savants et érudits médiévaux octroyaient-ils les mêmes vertus thérapeutiques au cristal ?

Hildegarde de Bingen, religieuse et mystique du XIIe siècle croyait aux vertus du cristal car elle écrit au chapitre XX « Cristallus », de son ouvrage Le livre des subtilités des créatures divines :

 « Le cristal naît de certaines eaux froides, qui sont d'une couleur presque noire. Lorsque la vue s'obscurcit, il faut faire chauffer un cristal au soleil et le placer ainsi, chaud sur les yeux. »

Hildegarde de Bingen attribue la plupart du temps des vertus mystérieuses aux plantes, minéraux et animaux. Elle n'est pas la seule à croire à une médecine du cristal. Le lapidaire de Jean de Mandeville (que l'on attribue à cet auteur en tout cas) écrit au XIVe siècle, soit deux siècles après Hildegarde de Bingen évoque les nombreuses vertus du cristal. Ce qui permet de montrer la durabilité des croyances, croyances visiblement bien ancrées à la fois dans une pratique médicale « scientifique » et une pratique médicale « domestique ». Voici les vertus du cristal selon le chevalier que je restitue en langue médiévale :

     « Cristal reffroidist le cervel, conforte la veüe, multiplie layt es mamelles. La pouldre de luy beüe fraint1 la cole2 et chaulde maladie ou venant par chaleur ».

Selon cette description de Jean de Mandeville, le cristal serait de nature froide et aurait des vertus rafraîchissantes. Selon la théorie des quatre humeurs, il est donc normal qu'il lutte contre les maladies chaudes. Le cristal fait venir le lait selon l'auteur. De ce fait il s'apparenterait fortement à la galactyte (en grec), pierre favorisant la montée de lait.3 Une autre source, le dictionnaire universel des drogues simples de Nicolas Lemery affirme même que la pierre « rend du lait », et qu'elle « jette un suc laiteux » si on la pulvérise. On peut donc comparer le cristal et la galactite en temps que pierres renfermant du liquide, l'une de l'eau, l'autre du cristal. Cette énumération de vertus n'est pas fondée médicalement (ou du moins fondée sur la théorie des quatre humeurs et de la physiologie hippocratique) et fait parties de croyances médiévales qui ne sont pas étrangères au XVIe siècles avec la philosophie occulte par exemple. Certains auteurs attribuaient des vertus occultes au cristal. On parlait dans ce cas de « Crystallomancie ». Pierre Messie écrit en 1567 dans ses Diverses Leçons, sur ce sujet :

    « Quand au Crystal il est souverain contre ceux qui ensorcellent par leur regard & si garde de songer choses fascheuses. » (chapitre II, sur les vertus des pierres précieuses).

 

Toujours au XVIe siècle, Jean Bodin, qui a écrit Démonomanie (1580), explique au Livre II, chapitre 2 :

« comme dit Joachim de Cambray, qu'il a veu un bourgeois de Nuremberg, qui achepta un anneau de cristallin, par le moyen duquel un jeune enfant voyoit ce qu'on demandoit : mais depuis l'achepteur se trouva travaillé du Diable, & rompit l'anneau. Celle qu'on dict Onymantie se faict en frottant l'ongle ou le cristal de certaines confections, & en disant quelques paroles que je ne scay point, puis on faisoit voir à un jeune enfant, qui n'estoit corrompu, ce qu'on demandoit. ». Ces vertus, plus magiques que médicales proviennent en partie d'une tradition médiévale. Pour Albert le Grand, théologien du XIIIe siècle, le cristal adjoint au miel serait une aide à la fécondité dans son ouvrage Vertus magiques des végétaux, minéraux et animaux : « Il sert à allumer du feu en le plaçant au-dessus d'un objet inflammable exposé aux rayons du soleil. Bu avec du miel, il donne du lait aux nourrices ».

Dans un autre passage, ce même Albert le Grand, nous donne de façon surprenante, une recette pour amollir le cristal : il faut selon lui faire fondre le cristal dans un creuset avec du plomb calciné pour avoir du verre malléable ou bien le faire tremper pendant 24 heures dans une lessive de chaux avec des cendres gravelées. Cette problématique de la fonte des matières était très récurrente chez les savants. On disait même que la mandragore par exemple avait la vertu d'amollir l'ivoire, que le sang de bouc était le seul qui pouvait briser le diamant.

Représentation d'Albert le Grand dans les secrets admirables du Grand Albert comprenant les influences des Astres, les Vertus magiques des Végétaux, Minéraux, Animaux..., 1895

 

Il est intéressant de constater, par ces exemples, que souvent, ce sont des religieux qui attribuent des pouvoirs au cristal : une sainte (Hildegarde de Bingen), un théologien et homme d'église (Albert le Grand). Cette théorie se confirme si l'on se penche du côté de l'évêque, Marbode de Rennes qui a écrit un lapidaire intitulé Liber Lapidum dans lequel il dit une chose semblable que les deux auteurs mentionnés ci-dessus, dans les six dernières lignes de sa description du cristal :

Le cristal ne serait autre qu'un bloc de glace,

Dont les siècles auraient endurci la surface,

Selon quelques savants, notant avec raison,

Qu'il a bien tout l'éclat et le froid d'un glaçon.

D'autres n'adoptent point cette simple hypothèse,

Et leur grand argument pour soutenir leur thèse,

C'est que notre cristal est surtout rencontré

Aux pays où l'hiver n'a jamais pénétré.

Mais il a ce pouvoir, qu'aucun ne lui dénie :

Au soleil dérobant sa chaleur infinie,

Qu'il enfante la flamme, et pourrait embraser

L'objet qu'à ses rayons on voudrait exposer.

En poudre, dans du miel, prends-le, bonne nourrice,

De la douce liqueur pour que ton sein s'emplisse.

 

 

| Une autre utilisation du cristal dans l'Antiquité.|

Albert le Grand mentionne le cristal comme moyen de faire du feu. On peut donc se dire qu'il en a fait l'expérience et qu'une telle assertion se base sur la pratique. Mais déjà dès l'Antiquité, le poète Orphée chantait les louanges du cristal en le liant au feu :

« Prenez dans vos mains le cristal brillant et flamboyant, rayon de la divine lumière, le coeur des dieux immortels en est réjoui dans l'immense éther ; si vous approchez du temple en le tenant dans vos mains, aucun dieu ne repoussera vos voeux. Écoutez-donc afin d'apprendre les vertus de cette pierre brillante : si vous voulez allumer une flamme sans avoir besoin d'un premier tison enflammé, déposez-le sur des morceaux de bois arides. Aussitôt le soleil dardant sur sa face opposée il laissera échapper un petit rayon ; dès qu'il aura atteint la matière sèche qui doit lui servir d'aliment, il en sortira d'abord de la fumée, puis un feu léger, puis une grande flamme. Les anciens appellent cela le feu sacré ; et moi je crois qu'aucune flamme ne peut allumer les sacrifices avec plus de joie pour les immortels. J'ajoute encore cette qualité merveilleuse du cristal : quoique auteur de cette flamme qui ainsi aura subitement jailli de ce feu, il sera de suite refroidi et pourra être touché impunément, et, appliqué sur les reins, il en guérira les douleurs. » Orphée dit donc que l'on peut allumer du feu avec le cristal. Mais à la différence d'Albert le Grand, il attribue une caractéristique sacrée aux flammes naissants du cristal. Le cristal, principe « chtonien » (de  la terre) puisque lié à la terre, revêt aussi un principe « ouranien » ( le ciel) puisqu'il permet de communiquer avec les divinités du Ciel. Ce que dit Orphée par la suite, à savoir que le cristal appliqué sur les reins, permet de soulager ceux-ci, n'est autre que les prémices de ce qu'on appelle aujourd'hui la « lithothérapie ».

 


| Où peut-on trouver le cristal ? |

 

 

Pline nous renseigne de façon générale que le cristal, se trouve dans des endroits plutôt difficiles d'accès, de telle sorte qu'à l'époque, on était obliger de se suspendre à des cordes pour pouvoir y accéder. Cela nous rappelle ainsi le travail des cristalliers du Massif alpin (appelés aussi (Strahler)

 

Solin, de nouveau dans sa Polyhistor, nous dit que l'on peut trouver du cristal en Inde (dans l'imaginaire Antique, l'Inde était la contrée où l'on trouvait toutes les choses admirables et insolites, comme les plantes merveilleuses ou les monstres, dont les Astomes, peuple sans bouche, qui se nourrit exclusivement du fumet des aliments selon Plutarque). Mais il poursuit en ajoutant qu'on peut en trouver à d'autres endroits :

« Le cristal, quoique fourni par une petite partie de l'Asie et par la plus grande partie de l'Europe, est préféré s'il vient de la Scythie. On fait beaucoup de coupes en cristal, quoiqu'il ne puisse supporter que le froid. Il affecte la forme hexagone. Ceux qui le recueillent choisissent celui qui est parfaitement pur, et rejettent celui dont une teinte rousse, des nébulosités, une couleur d'écume altèrent la transparence; il ne faut pas non plus que trop de dureté le rende plus sujet à se briser. On prétend que la glace, en se condensant, produit le cristal; c'est une erreur : car s'il en était ainsi, Alabande en Asie et l'île de Chypre n'en produiraient pas, puisqu'il règne toujours dans ces pays une très vive chaleur. » (chapitre XVI)

Il dément donc le fait que le cristal soit de l'eau congelée mais ne nous donne pas plus d'indications sur sa conception. Cette déclaration de Solin a d'ailleurs fait impression sur le médecin italien duXVIe siècle Pierre André Matthiole (1500-1570) puisqu'il cite Solin et  poursuit par des constatations de l'ordre de la physique dans son ouvrage Commentaires sur les six livres de Pedacius Dioscoride (Livre V). Il affirme son accord avec Solin et dit qu'il est impossible que le cristal soit de l'eau congelée ou une agglutination de glace puisque s'il en était ainsi, il fondrait au soleil (or on en trouve dans des pays chauds comme la Libye). De plus la glace flotte sur l'eau mais le cristal coule directement. Cela infirme donc l'hypothèse. Néanmoins Matthiole ne dit pas comment le cristal se forme, s'il ne vient pas de l'eau. Il dit simplement qu'il serait issu d'une « humeur fort purifiée dans les veines de la terre laquelle serait convertie en pierre ». Il suit donc la conception d'Agricola que le cristal est issu d'une formation terrestre au même titre que le diamant ou le béryl.

Il faut lire Diodore de Sicile pour en savoir un peu plus sur sa création. En effet dans la Bibliothèque historique, il confirme que le cristal se trouve en Inde et est, tout comme Solin, d'accord sur le fait qu'il ne provient pas de l'eau congelée. Pour lui il provient de son élément contraire, le feu :

« Tel est le cristal, qui présente l'aspect d'une eau pure solidifiée, non par le froid, mais par la puissance d'un feu émané de la Divinité, puissance qui garantit ces pierres de toute altération, et les rend susceptibles de se teindre de diverses nuances, par les infiltrations des vapeurs colorantes. » (Volume 1 Livre II, LII)

Solin nous a aussi parlé d'une teinte rousse du cristal Cela avait déjà été notifié par Pline dans le livre XXXVII de son Histoire naturelle (bien souvent des passages entiers de Pline sont paraphrasés par Solin) :

« Des cristaux ont une rouille de couleur rousse; d'autres, des filaments semblant une fêlure : les artistes cachent ce défaut par la ciselure. Les cristaux sans défauts ne se cisèlent pas : on les nomme acenteta (non piqués); ils sont, non de la couleur de l'écume, mais de celle d'une eau limpide. »

Il est possible qu'il s'agisse du « cristal jaune » mentionné par Jean de Mandeville. Ce cristal jaune et « saffreneux » selon lui proviendrait d'Éthiopie et est de la couleur du saphir citrin. Voici ce qu'il en dit :

« Se on la porte a son col ou en son doit, le pourteur yra seurement la ou il vouldra, car tantet tant il acquiert honneur et sera fortunés en toutes ses besongnes. Un ayr corrumpuz ne pestillencieux ne luy pourra nuyre »

De ce fait ce cristal jaune porté en amulette apporte la chance et permettrait d'échapper aux maladies comme la peste (qui était considérée comme un empoisonnement et une perversion de l'air). Ce même cristal jaune est donc comparé au saphir citrin. Ces deux pierres étaient réputées pour être utilisées dans la fabrication de faux diamants selon Jean d'Outremeuse (1338-1400, chroniqueur liégeois). Pour en revenir à la localisation des cristaux, Pline déclare qu'il s'en trouve à Chypre et aussi en Lusitanie par exemple. Au XVIe siècle, André Thevet, cosmographe, dans Histoire de deux voyages, affirme au chapitre 16 que la contrée montagneuse d'Ourouparup est fertile en or et abonde en cristal. (Queurevrijou, païs des Tapoiiys, joignant la rivière de Potijou, à savoir le peuple des tupi-guarani au Brésil). Aujourd'hui la présence d'émeraude et de cristal y est attesté. L'exploitation à l'intérieur de Bahia (état fédéré du Brésil dont la capitale est Salvador) a commencé à partir du XVIIe siècle. La question est de savoir ce que les habitants de ces contées lointaines faisaient de ce cristal à l'époque ? Hans Staden, un autre voyageur du XVIe siècle, antérieur à André Thevet, déclare dans sa Véritable histoire et description d'un pays habité par des hommes sauvages (1557), que les femmes avaient un morceau de cristal emprisonné entre deux baguettes afin de raser les sourcils selon la coutume. Il écrit également le fait suivant :

« Ils ont aussi des trous aux deux joues, et ils y mettent des pierres de la même manière ; ils arrondissent ces pierres à force de les frotter ; quelques uns ont des morceaux de cristal, qui sont plus minces, mais aussi longs. Ils se font des espèces de colliers avec un gros coquillage de mer qu'ils nomment matte pue ». (chapitre XV, « Moeurs et coutumes des Tuppinambas »).  

Cet extrait me permet d'introduire, par conséquent, la question du decorum en dernière partie, que j'avais esquissé en introduction et que je souhaitais développé en fin d'article.

 

| Le cristal et le luxe.|

Le cristal étant endurant à la chaleur, il était aisé d'en faire coupes et tasses. Ce sont les écrits des anciens qui nous renseignent le plus sur la cristallerie, et l'utilisation du cristal comme élément d'ostenta (le fait de montrer sa richesse, à l'époque). On sait que l'on fabriquait par exemple des aiguières en cristal (récipient contenant de l'eau). Solin nous apprend que l'impératrice Livie, a offert un bloc de cristal dans le Capitole, d'un poids de 150 livres (environ 68 kg).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Buste de l'Impératrice Livie  

Pline quant à lui nous raconte cette anecdote :

Le cristal est aussi un objet de folie : une dame romaine qui n'était pas riche acheta, il y a peu d'années, 150.000 sesterces un bassin de cristal.

Cependant nous ne connaissons pas le nom de cette dame qui visiblement serait atteinte de folie. Il nous dit aussi : Xénocrate dit avoir vu un vase de cristal qui tenait une amphore ; d'autres parlent d'un vase en cristal des Indes tenant quatre setiers. Les coupes en cristal étaient très prisées également. On parlait d'ailleurs de calyces cristallinos en latin. Solin, nous l'avons vu plus haut mentionnait des coupes de cristal fait en cristal de Scythie. On raconte que l'empereur Néron, dans un accès de colère, brisa deux précieuses coupes de cristal. Les découvertes archéologiques confirment cette profusion d'objets fait avec ce matériau. Louis Carton nous décrit plusieurs objets en cristal, découverts lors de recherches comme un dauphin de 20 cm (voir son compte-rendu « Objets en cristal de roche découverts à Carthage ») : « En Italie, à Avellino, on a trouvé, dans une urne en marbre, deux petits vases en cristal de roche d'un travail très fin qui passèrent dans là collection Alessandro Gastellani ; l'un avait la forme d'une amphore, l'autre celle d'un balsamarium. Dans les collections de la Bibliothèque nationale, on conserve un poisson en cristal de roche qui peut être rapproché de celui qui nous est signalé par le docteur Carton. Il n'est pas certain que la petite coupe supportée par des colonnes ait servi de brûleparfums ; elle ressemble plutôt à un baguier, destination qui s'accorderait mieux avec ses dimensions et avec la rareté de la matière. » D'ailleurs les objets en cristal, témoignant de la richesse d'une personne, de sa classe sociale, peuvent aussi avoir des vertus insolites, étranges. C'est la notion de prodiges qui entre ainsi en compte. Simon Goulart, auteur du XVIe siècle qui a écrit un Thresor d'histoires admirables et mémorables de nostre temps, relate une anecdote à propos du pape Alexandre VI (pape né à Utrecht : 1459-1523) :

« Le pape Adrian VI s'acheminant d'Espagne à Rome, pour son premier exploit voulut voir à Saragosse les os & reliques d'un saint : ce qui fit dire à plusieurs qu'Adrian mourrait bientôt. Il advint alors aussi qu'une riche lampe de cristal, en l'église de ce saint, se brisa soudainement, dont toute l'huile fut versée sur Adrian & sur quelques prêtres autour de lui, dont leurs habillements furent gâtés. Arrivé à Rome, le palais où il demeurait fut embrasé & consommé en un instant. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Pape Adrien VI

La lampe en cristal devient donc un alter-ego du miroir brisé qui apporte le malheur. Cet imaginaire de l'objet e cristal qui possède une aura mystérieuse va se répercuter bien entendu dans la littérature que ce soit au XIXe siècle ou bien de nos jours dans les romans fantastiques ou d'heroic fantasy. Un exemple manifeste est Le poignard de cristal de Jules Lecomte écrit en 1856 sur un poignard de famille fondu d'un seul jet dans un cristal, vert comme une émeraude, ayant été porté autrefois par Fransesco Morosini dans ses luttes contres les turcs.

| Le cristal dans les cabinets de curiosités.|

Nous venons Le cristal dans les cabinets de curiosités. Nous venons à l'instant de voir que le cristal faisait parti des objets luxueux que l'on aimait avoir chez soi afin de montrer son opulence. Mais il ne faut pas oublier un pan important de l'acquisition domestique du cristal. En effet le cristal était parfois conservé chez soi, du fait de son caractère insolite, de sa singularité (lorsque l'on croyait que le cristal était composé d'eau notamment). Antoine Agard (orfèvre de la fin de la Renaissance à Arles) possédait des cristaux de roche dans sa collection dont un « où se voit congellé dans la nature de ladite pierre, mesmes païsages et rochers naturels verdoyans que la nature a retenus et gravés dans la mesme pierre ».6 On retrouve avec le participe présent « congelé », la relation à l'eau, renforçant ainsi la nature aqueuse du cristal. Le cristal que possède Antoine Agard est donc tellement transparent qu'il en devient un miroir où il voit des paysages !

| Conclusion.|

Le cristal est un minéral particulièrement important de l'Antiquité jusqu'à la Renaissance. Il a suscité de nombreux débats entre la sapience antique et la sagesse humaniste quant à se formation et sa localisation. À savoir s'il prend naissance dans les pays d'« éternelle froideur » et de « neiges continuelles ». Il est lié à la médecine, et à la théorie des quatre humeurs (Dioscoride disait que le cristal pouvait avoir la couleur du « Flegme », à savoir blanc). Doté d'un fort imaginaire dû à sa transparence, sa pureté, il est considéré comme la plus claire de toutes les pierres et la matrice, la matière de toutes les pierres précieuses. Le cristal se situe en fin de compte dans un entre-deux comme le remarque Jean Bodin dans le Théâtre de la nature universelle (1597) :

 

 

 

 

 

 

 

 

Quartz. Illustration de la collection minéralogique du Cabinet d'histoire naturelle de Grenoble XVIIIe-XIXe siècles. (Collections du Muséum d'histoire naturelle de Grenoble).

« Nous voyons aussi que l’argille participe du limon et des pierres par l’affinité qu’elle a tant envers l’un qu’envers l’autre ; comme de mesme le crystal entre l’eau et les diamants ; le mercure ou vif argent entre l’eau et les metaux ; le Pyrites ou la Marcasite, entre les pierres et les metaux ; le corail entre les plantes et les pierres ».

Le cristal, étant de l'eau congelé selon les croyances d'antan, se situait comme un élément intermédiaire entre l'eau et les diamants (ut inter aquam et adamantes crystallum dans le texte en langue originale de Jean Bodin). On retombe par de telles propos sur les conceptions de Solin qui assimilait le diamant d'Inde au cristal. Dans l'étude des pierres, des minéraux et des gemmes, il occupe une place centrale. C'est autour de lui que gravite les autres pierres précieuses. Il suffit de se tourner vers les lapidaires ou les recueils d'histoires prodigieuses comme celui de Solin afin de s'en rendre compte. Le cristal lié à la médecine, est aussi lié à la sorcellerie et aux prodiges, mirabilia. Dans le supplément des lettres de Franz Ernst Bruckmann (1697-1735), médecin et naturaliste allemand, il est relaté notamment une pluie de cristal, qui se serait mêlé à de la grêle en 1724 dans la préfecture d'Asfeld. Les descriptions des gemmes sont souvent basée sur la physionomie du cristal. C'est d'abord l'alectoire, « pierre qui a l'aspect du cristal et la grosseur d'une fève », mais aussi le pédéros qui a « le brillant du cristal », ou encore l'iris « qui est hexagone, comme le cristal ». Il y a bien sur pléthore d'exemples. Nous pouvons déjà voir ici, se dessiner les prémices d'une cristallographie. On est loin de l'assimilation quartz et cristal de Romé de l'Isle. Bien que le quartz a été restreint aux cristaux de roches par Georges Agricola au Moyen Age, le terme n'apparaît pas dans les descriptions du cristal (même au XVIe siècle), peut-être car certains auteurs pensaient que c'était de l'eau congelée ? Le cristal est aussi lié à la magie comme nous l'avons vu mais plus encore, à l'onirisme et à

l'utopique. Et je terminerai par ce passage de l'Histoire Véritable de Lucien de Samosate (écrivain et satiriste grec du IIe siècle) concernant l'utopie de l'île des bienheureux gouvernée par Rhadamante où l'édifice des bains publics est fait de cristal et où on peut admirer bien des merveilles comme celleci

:« On mange hors de la ville dans la plaine d’Élise, à la fraîcheur d'un bois qui l'environne, où l'on est couché sur des fleurs, & les vents portent des viandes. Sur les têtes pendant de grands arbres de cristal, qui portent des verres de toutes sortes, & l'on ne les a pas plutôt pris qu'ils sont pleins de vin. »

Tony GOUPIL


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